Il est tombé vendredi. Un accord entre les régulateurs des télécoms et des médias (CSA, Medienrat, Vlaamse Regulator voor de media et l’IBPT) entend injecter plus de concurrence et de transparence sur les marchés de l’internet haut débit et des offres radio/TV.  Sous les applaudissements… d’Orange Belgium, qui a tout à y gagner.

Le constat était sans appel :  « Proximus, Telenet, Brutélé et Nethys continuent de détenir une puissance significative sur les marchés de gros. La CRC confirme donc que les réseaux de Proximus, Telenet, Brutélé et Nethys doivent rester ouverts aux opérateurs concurrents qui demandent à y accéder. » Comprenez ce communiqué à la lettre : pas assez de concurrence, des prix élevés.

L’air de rien, le texte publié le 29 juin est riche en avancées : ouverture des réseaux (notamment le délicat dossier de la fibre optique de Proximus), baisse des tarifs de gros et nouvelles conditions d’accès.

Premiers effets en août (déjà)

Le mois prochain, les tarifs wholesale diminueront dans certains cas jusqu’à 20%. Les conditions d’accès aux réseaux sont améliorées : plus question de forcer l’opérateur à coupler internet et télévision, il sera possible de fournir uniquement la connexion à internet (sans y perdre au change, financièrement).  Ainsi, un opérateur peut louer l’infrastructure de Telenet pour fournir un service d’accès à internet, tout en développant son propre service de télévision (IP), sans devoir procéder à des accords pour les chaînes déjà présentes dans l’offre de l’opérateur disposant du réseau fixe.

On peut déplorer que l’avantage ne soit pas donné aux propriétaires de réseau (après tout, ils investissement massivement), mais ils sont les principaux responsables du duopole actuel (cuivre et fibre d’une part, câble de l’autre).  Le régulateur ne dispose pas de solutions miraculeuses pour dynamiser le marché. Après tout, Proximus a refusé les avances d’Orange Belgium visant à mutualiser la construction du réseau de fibre optique (ce qui se pratique désormais en France, sous l’œil de l’ARCEP).

Dans le domaine, l’épineuse question du réseau fibre de Proximus, qui remplace graduellement le réseau cuivre (VDSL), était lui aussi sur la table de l’accord annoncé avant le week-end. La fibre, développée par Proximus avec le soutien des autorités fédérales, devra s’ouvrir plus franchement.  La première tentative en mai 2018 a fait office de poudre aux yeux : il suffit de jeter un œil sur les offres actuelles d’EDPNet pour constater que l’ouverture reste timorée : notamment au niveau des débits.

La régulation sera tout de même allégée dans des zones actuellement moins bien pourvues en infrastructures à haut débit, même si «ces zones représentent environ 5% des ménages en Belgique.» Objectif : inciter à l’investissement dans ces zones de faible densité de population ou d’accès plus difficile. Le plan du gouvernement wallon autour de la taxe pylône donne le ton de ce qu’il est possible de réaliser en peu de temps pour les zones délaissées.

Orange Belgium affiche son satisfecit

Dans un communiqué publié ce lundi, Orange Belgium salue la «décision finale des régulateurs visant à stimuler la concurrence sur le marché de l’internet fixe et de la télévision.» L’opérateur – toujours candidat à la reprise des réseaux câblés de Nethys et Brutele – y voit une réponse à ses demandes.

Trois points retiennent son attention : les conditions financières plus avantageuses, un accès facilité à l’infrastructure de l’opérateur wholesale (centraux, boîtiers) et la possibilité de lancer une offre limitée à internet. Ce deuxième point est essentiel : à l’heure où Orange fait le choix de la Chromecast pour compléter son offre de télévision numérique encore dépouillée, les nouvelles conditions d’accès devraient théoriquement lui permettre à terme de développer son propre service de télévision numérique (notamment ses propres accords avec les diffuseurs) uniquement via internet. Autre traduction libre : si le rachat de VOO n’est plus d’actualité ou si l’offre de Telenet est préférée, Orange dispose alors d’une porte de sortie honorable (et plus viable), faute de réseau fibre propre.

Un autre point est particulièrement favorable à Orange dans cet accord : l’accès à l’infrastructure de l’opérateur. Pour l’heure, l’intervention d’un technicien Orange doit être précédée d’une visite d’un technicien agréé de Nethys, Brutele ou Telenet. L’accord dévoilé vendredi permettra à Orange de limiter l’intervention à une seule visite de son propre technicien, habilité à la fois à ouvrir et tester la ligne, puis installer la connexion. Le client ne doit plus alors être présent deux fois (parfois à quelques jours d’écart) à son domicile ou dans son entreprise pour qu’une ligne soit totalement opérationnelle.

Enfin, on apprend dans le communiqué qu’Orange compte aujourd’hui 122 mille clients Love. L’opérateur enfonce le clou : il a investi rien moins que 60 millinos d’euros et créé 200 emplois grâce à cette offre de convergence mobile/fixe. Une piqûre de rappel pour le feuilleton industriel mis au placard cet été : qui va s’emparer de VOO?

Le contexte s’y prête (et montre l’urgence d’une stimulation du marché)

La décision des régulateurs arrive avant qu’il ne soit trop tard et l’environnement n’a jamais été aussi favorable : croissance de Netflix et d’Amazon Prime Video (sans oublier Youtube), lancement de Stevie au Nord du pays (offre de télévision par internet lancée par plusieurs diffuseurs flamands) et, ne nous voilons pas la face, l’explosion des offres (illégales) d’IPTV sur les téléviseurs connectés.

On voit ainsi les grandes manœuvres de Canal Plus en France, qui vient de choisir l’Apple TV 4K pour remplacer ses propres décodeurs et y fournir des images 4K de très grande qualité dès la rentrée à la sortie d’iOS 12. Ou encore le désir du français Molotov de s’implanter dans d’autres pays européens. Ces services très attractifs – qui connaissent un vif succès aux États-Unis, notamment depuis l’arrivée de Sling TV – n’ont besoin que d’un seul tuyau : internet à très haut débit. En Amérique du Nord, SlingTV a été rejoint par AT&T, Playstation Vue et même Youtube TV. C’est dire l’enjeu.

Développer une offre de télévision par internet a du sens et Orange Belgium aurait tout à y gagner (quitte pour le groupe à s’offrir un acteur du domaine pour y arriver plus rapidement). Pour s’en convaincre, il suffit de regarder comment Proximus tente de devenir le hub des contenus numériques, au-delà des offres de télévision actuelle.  L’opérateur a été le premier à fournir Netflix sur son décodeur et, nous confie-t-on dans la coulisse, à tenter d’approcher Molotov pour intégrer son offre (tentative échouée jusqu’ici). On prête également à Proximus des tractations avec Hulu, en quête d’expansion internationale.

Qui sont les grands gagnants de cet accord ?

Les consommateurs, mais aussi les acteurs.  D’emblée, on pense à Orange Belgium qui loue l’infrastructure de VOO et Telenet et dont nous venons de répercuter la satisfaction affichée.  On pense également à EDPNet, dépendant de Proximus. Et pourquoi pas de nouveaux entrants ? Free, par exemple, déjà candidat plus ou moins proclamé à l’obtention d’une licence mobile à l’horizon 2021. Free pourrait, à l’image de ses premières offres mobiles en France, envisager les réseaux de Telenet, VOO ou Proximus pour se lancer dans une offre plus concurrentielle pour le consommateur.

Les premiers effets du nouveau cadre réglementaire sont attendus dès le mois d’août.

Article mis à jour le lundi 02/07 à 16h36 suite à des compléments
qui nous sont parvenus, d’une source bien informée.