Keynes l’avait bien compris : « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes. » Idées anciennes selon lesquelles un opérateur ne pourrait évoluer au-delà de son propre réseau, qu’il soit de fils ou dans les airs. Cherry refuse, par superstition sans doute, l’étiquette de 4e opérateur mobile, même si son idée nouvelle viendra indubitablement bousculer tous les acquis du marché belge.

On aurait peut-être tendance à l’oublier : disposer d’une connexion à Internet sans fils à la maison fait de nous un opérateur télécom potentiel à l’heure de Skype et SIP. Cherry, dont le lancement sera officiel le 26 août prochain, mise précisément sur cet atout, jusqu’ici laissé de côté – à dessein ou faute de volonté d’innover – par la plupart des opérateurs télécom dans le monde.

Cherry est un produit entré en phase de bêta tests publics fin juin. Il a été pensé et développé par Mondial Telecom / HappyMany, dont le siège social est basé à Bruxelles. Ce forfait d’un nouveau genre mise sur la complémentarité de deux technologies : le Wi-Fi d’une part, le réseau mobile classique (GSM/3G) de l’autre.

« Mais tout cela n’aurait pas été possible si nous n’avions pas eu accès au coeur d’un réseau télécom », confie Bernard NOEL DE BURLIN, CEO de Mondial Telecom. Depuis plusieurs mois, on observe chez KPN Belgium (Base) une volonté affichée de bénir – et miser sur – des projets innovants sur son propre réseau. Après une prise de participation de 30 % dans le MVNO Mobile Vikings, KPN accepte qu’un de ses opérateurs virtuels accède au « switch » suprême, celui du routage des appels : ce point à partir duquel un appel peut passer du réseau GSM/EDGE de BASE au réseau SIP de Mondial Telecom – et vice versa -, sans coupure.

Et ça marche ! Nos premiers tests avec le terminal Nokia E51 fourni par Cherry donne des résultats immédiats, de qualité. Lorsqu’un appel passe de notre Wi-Fi au réseau GSM de Base, seul un léger « clic » se fait entendre, mais la communication se poursuit de plus belle.

Pour l’heure, seule une poignée de terminaux ont été certifiés, principalement des smartphones Nokia de type E- ou N-Series, ainsi que des téléphones Windows Mobile de HTC dotés du Wi-Fi. « Cela faisait partie du deal avec KPN », explique Eric DUCARME, Sales & Marketing Director. « Nous sommes là sur un accès et une technologies sensibles. Mais la volonté est d’ouvrir à d’autres types de mobiles, comme les Samsung et les Sony Ericsson compatibles Wi-Fi. Et ce très, très rapidement. » Ni l’iPhone ni les Blackberry ne pourront bénéficier du petit logiciel permettant le passage du réseau GSM au réseau Wi-Fi : « Pour l’iPhone, c’est un problème qu’Apple doit régler… probablement avec les opérateurs. Nous aimerions, mais avons besoin de leur collaboration (Ndlr : pour accéder à des technologies indispensables, jusqu’ici jalousement gardées). Tout comme chez RIM, où c’est encore plus compliqué : tout est contrôlé, tout est fermé. Enfin, pour l’instant. Mais nous avons bon espoir, de l’un et de l’autre côté. » Android et Symbian restent des univers plus ouverts : nul doute que l’ensemble des gammes pourront être servis rapidement.

La plupart des appels sont passés depuis son domicile ou le bureau

Ne dites pas à Bernard NOEL DE BURLIN que son exclusivité n’en est pas une : « Oui, il existe des technologies UMA (Ndlr : technologie permettant à un abonné de « switcher » du réseau GSM/3G au Wi-Fi chez un opérateur) », avoue-t-il. Certains grands acteurs européens, parmi lesquels Orange, en ont fait usage : « Mais on évolue dans un schéma fermé : on ne bascule pas d’un réseau GSM au Wi-Fi d’un autre opérateur. Chez Orange en France, on passe du réseau GSM ou 3G Orange à celui de l’aDSL Orange. Le modèle évolue en vase clos. » Cherry permet en effet de transiter par n’importe quel réseau Wi-Fi, à la maison, au bureau ou dans un lieu public. Eric DUCARME précise : « La condition, c’est que le réseau soit connu, enregistré dans le terminal. Le téléphone peut alors automatiquement s’y connecter. Nous avons d’ailleurs conclu des accords avec de grands fournisseurs internationaux, auprès desquels la connexion s’établira automatiquement, sans inscription ou transit par une page d’accueil. » On songe ici aux Free-Hospot, Boingo Wireless et FON.

Le message est clair : Cherry doit être un produit aussi simple et épuré que son design (voyez le site www.becherry.be pour vous en convaincre). Vous êtes à la maison ou au bureau ? Le téléphone reconnaît votre Wi-Fi. Vous n’aviez pas de couverture GSM à votre domicile ? Le Wi-Fi densifie naturellement la couverture indoor.

Si les forfaits ne sont pas encore connus, on peut déjà soupçonner l’opérateur de vouloir appuyer sur le bouton « simplicité » là encore. Pas question de noyer l’utilisateur dans une foule d’abonnements à options : appels bon marché lorsque le téléphone utilise les réseaux GSM/3G et appels en Wi-Fi gratuits et illimités, vers les mobiles et les fixes en Belgique. La gamme des forfaits sera présentée le 26 août prochain dans le cadre d’un conférence de presse.

Eric DUCARME vise loin : « Imaginez un étudiant Erasmus en Espagne. Il prend son téléphone avec lui, ne change pas de numéro, continue d’être appelé sur son numéro de mobile belge et tout cela en utilisant la connexion Wi-Fi de sa chambre d’étudiant sur place. La notion de frontière tombe, puisque nous faisons transiter les communications par notre propre réseau, par essence international. » Bernard NOEL DE BURLIN enfonce le clou : « Savez-vous que 60 % des appels se font depuis le domicile ou le bureau ? Là où précisément nous disposons d’une connexion Wi-Fi ! »

Public visé ? Naturellement les technophiles. Puis forcément les étudiants, les particuliers souffrant de notes téléphones salées, voire les personnes ne disposant pas d’une excellente couverture GSM/3G à l’intérieur de leur domicile. Eric DUCARME ajoute : « Puis aussi les PME, c’est évident. Ce sont de gros consommateurs de téléphonie et les appels passés en entreprise peuvent être alors traités par le Wi-Fi. »

Cherry va-t-il remplacer les produits de Mondial Telecom et Happy Many ? Ce n’est pas à l’ordre du jour. Lancer un produit aussi innovant et risqué nécessite une structure existante et saine : les offres actuelles – visiblement rentables – permettent à la direction d’éviter un étranglement immédiat et fatal. Eric DUCARME ne manque pas de modestie : « Nous restons une PME avec un budget limité. Nous devons communiquer. Pour cela, nous misons sur un parc de 500 abonnés, à partir duquel nous pourrons estimer avoir réussi la première étape du projet. » La suivante est-elle de se passer complètement du réseau « commuté » pour passer du Wi-Fi à la connexion Internet mobile de l’opérateur ? C’est que la 3G n’est plus qu’une question de semaines ou de mois chez Base. Bernard NOEL DE HUBLIN sourit : « On oublie peut-être que le réseau 3G n’est pas un réseau IP au départ, même s’il permet théoriquement d’envisager ce scénario-là. » La question n’est en effet pas à l’ordre du jour : KPN n’a pas prévu une couverture 3G complète dans notre pays, mais là où « la demande existe. »  Nul doute qu’elle se posera « en temps utile ».

Qui sait ? D’ici-là, KPN aura peut-être décidé d’investir dans Cherry, comme elle l’a fait dans Mobile Vikings.   C’est que le projet n’est pas  juste sympathique parce qu’il est du terroir  : il est, pour une fois, pensé et proposé au consommateur avec ce qu’il faut de talent et de vision pour prendre une franche longueur d’avance sur le reste du marché.    Un MVNO fait de l’ombre à Base ou Mobistar ? Il suffit de baisser ses propres tarifs et l’affaire est réglée.   Un MVNO abolit les frontières et c’est tout le jeu qui est chamboulé.

On refait le monde

Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Bernard NOEL DE BURLIN estime que « les opérateurs sont attentifs », mais « ils ont pour la plupart des logiques liées à un seuls réseau et intègrent peu les multiples réseaux existants. » Comprenez, les opérateurs ne voient pas cela d’un très bon oeil. On le sait, avec l’expansion des données mobiles, les appels sont condamnés à être dirigés tant que possible vers les réseaux Wi-Fi ou filaires.

Dans les locaux de la Chaussée de la Hulpe à Bruxelles, on refait le monde. C’est « off » et l’on s’égare : « Le politique doit être clair. Soit il dit qu’il veut privilégier un opérateur dominant qui a la main sur tous les maillons des réseaux. Et il avoue qu’il protège les 15 000 salariés de Belgacom. Soit il donne une impulsion au marché, comme cela s’est fait partout ailleurs. » Qui a prononcé ces phrases ? C’est un peu flou à l’heure où nous écrivons ces lignes et souhaitons juste ajouter que le test du terminal E51 doté de la technologie Cherry suivra sur BelgiqueMobile.be, avant le lancement du produit le 26 août prochain.   En attendant, participez à notre nouveau sondage : que pensez-vous du projet Cherry ?  Votre réponse avant le 16 août dans la colonne de droite de la page d’accueil.

Liens : Cherry (site web) / Cherry sur Twitter