Comment conquérir des parts du cupcake mobile quand on ne dégage pas l’aura d’Apple? La recette a longtemps été utilisée par Motorola, Nokia puis Samsung: soit innonder le marché, soit acheter sa part de marché. Le monde a changé. En dehors des pays émergents, la méthode ne réussit plus. Pourquoi?

Prenons l’iPhone pour référence. Encore? C’est que, à moins de se voiler la face, le terminal d’Apple imprime la dynamique du marché, comme Windows naguère dans un autre monde. Il suffit d’observer l’ordre de développement naturel: iOS puis Android. Puis le reste du monde, peut-être.

Il existait jusqu’il y a peu deux profils de concurrent à l’iPhone, en dehors des figurants aussi éphémères que leur budget communication. Deux profils qu’il était conseillé de combiner.

– Acheter sa part de marché. Communiquer et investir de manière massive dans la publicité. Soudoyer les vendeurs (cadeaux, téléphone gratuit, voyages, séminaires). Méthode Samsung.
– Innonder le marché. Créer une variété de terminaux couvrant tous les usages et profils, au détriment de l’exhaustivité des fonctions et des services. Le modèle Nokia et Samsung, jusqu’en 2011.

La loi du nombre

Android submerge le marché: télévision, téléphones bon marché, téléphones haut de gamme, tablettes de salon, tablettes de cuisine, media center. Aurions-nous oublié les radios web d’Archos et les autoradios? Oui, pour l’instant, la loi du nombre joue en faveur d’Android. Et la progression du système de Google est inéluctable, comme l’a confié BeMobile ce matin-même.  Il existe un Android pour toutes les poches et pour tous les budgets. Merveilleux, non?

Pourtant, tout est loin d’être rose bonbon dans la fulgurante ascension du système vu et voulu par Google pour tenir tête à Apple. A commencer par l’acharnement des constructeurs à miser de manière quasi obsessionnelle sur le facteur différenciation. L’adage est bien connu: l’habit fait le moine. Alors, on rivalise de widgets, d’icônes, d’effets lumineux, de services utiles et futiles, pour attirer à soi le consommateur. Réaction classique de marchand, dans le sens le plus noble du terme, pour mettre en avant ses propres produits face à ceux du concurrent, même s’ils se fournissent auprès du même producteur.

Des interfaces viennent personnaliser, maquiller, améliorer, compléter, la base d’Android. C’était l’accord passé entre Google et ses partenaires aux débuts, prometteurs, de l’OS. Oui mais voilà, ces produits de beauté sont devenus sources de friture sur la ligne. D’un côté, ils introduisent un toxic asset dans le téléphone. Multipliant les risques d’instabilité, ils alourdissent et génèrent d’inévitables bogues. De l’autre, ils ralentissent le processus de mise à niveau de l’OS. Et dans cette équation compliquée, saluons le travail du développeur, appelé à coder pour une multitude d’écrans et d’architectures, risquant à chaque instant la faute d’inattention qui fera planter tel appareil, pas un autre. A-t-on déjà connu ça, dans le monde d’avant? Assurément. Le système s’appelait Windows 95.

Engadget constate.  HTC aurait bien du mal à faire cohabiter harmonieusement Android 2.3 et son interface Sense.  Au menu des doléances: des plantages, des redémarrages inopinés. Curieusement, les modèles HTC sous Windows Phone 7.5 ne souffrent pas de ces curieuses avaries. Il faut dire qu’en dehors d’applications exclusives, Microsoft n’autorise aucun constructeur à ouvrir la boîte de Pandore, à maquiller les fondamentaux du système.

Mon cas personnel de testeur de deux appareils pour une autre publication? Utilisant un HTC Sensation XL (Android 2.3) et un HTC Titan (WP 7.5) la même semaine, deux terminaux pourtant très proches, le constat est sans appel. Le premier est un facteur de stress (bugs, consommation excessive d’énergie, malgré ses qualités technologiques et l’orgie d’applications disponibles), le second un facteur de quiétude d’esprit. Parallèle égoïste: c’est précisément ce facteur risque qui m’a conduit, il y a quelques années, à renoncer au couple Windows XP / Red Hat Linux pour épouser Mac OS 9 puis 10. Ou à me débarrasser au bon moment d’actions XXXX (peu importe!).

Ice Cream Sandwich, emblème du problème

Android 4 est livré avec le Samsung Galaxy Nexus depuis le mois de novembre. Il faudra attendre mars, voire bien plus tard, pour en bénéficier chez Sony, LG, Samsung. Pour faire figure de bons élèves, les tablettes Asus et Archos veulent être les premières à intégrer l’édition ICS (Ice Cream Sandwich) d’Android, mais à quel prix: les premiers retours chez Asus évoquent une floppée d’instabilités, phénomène totalement absent lorsqu’on utilise un iPad. Donc, en situation de concurrence face à un acteur dominant, d’autant plus pénible et impardonnable. Asus réagit vite, heureusement, mais quelle publicité!  La précipitation ne pardonne pas.

Le pacte d’évolutivité passé entre Google et les constructeurs n’est pas une mince affaire, surtout lorsqu’il s’agit de passer d’une version majeure du système Android à une autre, opération uniquement autorisée à la publication du code-source des versions majeures du système (simultanée à la sortie en production? Non, évidemment!).

Sony (encore Sony-Ericsson au moment de la publication de cet article) décrivait en décembre dernier  les étapes nécessaires pour mener à bien la transition vers Android 4. Pas certain que le commun des mortels y comprenne quoi que ce soit mais, pour l’observateur un peu averti, un indice très clair que le voeu formulé par Google à l’occasion d’IO 2011 en mai dernier restera pieu et vain: assurer 18 mois d’évolutivité à chaque appareil Android vendu dans le monde. Tous les fabricants n’ont pas envie d’investir (et on les comprend!) dans l’évolution d’un terminal vendu à faible marge et doté de technologies low cost. Ajoutez à cela la main invisible des opérateurs, qui aiment eux aussi poser leurs griffes dans ces terminaux ouverts, nus, offerts à leur fantasme de diriger l’abonné là où ils l’entendent.

Résultat? on vend, on met à jour une fois pour amuser la galerie, on oublie, on passe à autre chose. Business as usual? Non, business as before!

Pendant ce temps, Amazon enregistre des ventes fulgurantes avec un « fork » d’Android 2.3, lequel confine l’utilisateur à l’Amazon App Store (et Getjar): le Kindle Fire est un succès aux Etats-Unis. Sans doute le succès le plus exemplaire d’une tablette Android jusqu’ici. C’est qu’Amazon a compris et gommé ce qui posait problème, les actifs toxiques, pour reprendre la main. Les développeurs suivent le mouvement (pour l’instant). Le pari est gagné.

Les constructeurs savent/disent-ils ce qu’ils vendent?

En titrant « Android 4 : les constructeurs se moquent du monde », iGeneration.fr marque un point en soulignant l’enjeu essentiel face auquel le système Google se trouve, celui d’une fragmentation inhérente à la position-même des constructeurs sur le marché.

« Avant tout, peut-être faudrait-il que ces derniers répondent à une question finalement assez embarrassante ? Que vendent-ils ? Un appareil Android ou un appareil basé sur le système de Google mais avec une surcouche maison. Cette différence n’a l’air de rien, mais permettrait très certainement aux consommateurs d’y voir plus clair et faire le bon choix lorsqu’il s’apprête à acheter un smartphone. »

La loi du nombre masque, temporairement, une situation que Google va avoir bien du mal à résoudre sans renoncer aux premiers commandements. Des guides ont été publiés pour harmoniser l’ADN de l’interface d’Android 4.  Les constructeurs devront s’y plier, sous peine de ne pouvoir accéder à l’Android Market.

Google a du travail. Défragmenter. Donner l’exemple. Centraliser l’évolution de l’OS. Faire plier constructeurs et opérateurs, comme Apple avant lui. Faciliter le travail des développeurs.

Autant de défis que la réalité vient aujourd’hui rattraper. Croyait-on y échapper?

Autant de billes dans le sac d’Apple et de sa politique uniforme, assumée, cruelle, restrictive, admirée. Et, même si on le snobbe un peu trop, quelques billes aussi dans celui de Microsoft*, dont le potentiel est immense, épaulé par un Nokia en pleine métamorphose.

Microsoft l’a compris d’Apple: less is more powerful. Il n’est jamais trop tard pour apprendre. Les cycles sont salvateurs.

* Je devrais ajouter RIM, mais j’ai un peu de mal, je l’avoue, avec les élèves qui ont séché les cours, la saison dernière.